# 8 – Décembre 2021 : note du groupe de réflexion sur la crise sanitaire d’Ensemble et Ensemble Insoumis

La pandémie du covid continue ses ravages sur la planète et les vagues de contamination se succèdent. Fin 2021 le chiffre de 3,5 millions de morts est évoqué au plan mondial, sur la base des déclarations officielles des Etats. Mais l’ OMS estime que ce chiffre est sous-estimé de moitié. Depuis octobre 2020 c’est au moins 10 000 morts par jour dans le monde.

La pandémie continue et ce que l’on pouvait craindre s’est produit : l’émergence des ‘’variants’’ est venue compliquer la situation sanitaire internationale, en particulier dans les pays les plus pauvres qui sont dépourvus d’une couverture vaccinale suffisante. Le risque de qu’ils apparaissent et qu’ils soient plus contagieux et/ou plus pathogènes y est plus grand, et quoiqu’il en soit le faible taux de vaccination des populations, qui s’ajoute aux autres facteurs de fragilité sanitaire, les surexpose aux effets morbides de la pandémie.

Celle-ci fait plus de dégâts dans les pays du Sud à faibles revenus qui n’ont pas accès aux masques, tests, équipements (respirateurs…) et traitements anti-covid, et qui sont dépourvus des moyens de vacciner largement leur population. Population qui en outre vit dans les conditions sanitaires les plus défavorables (logement, alimentation, système de santé et accès aux soins en général). Comme en écho, dans les pays ‘’riches’’ du nord de la planète, ce sont les classes populaires, les premiers et premières de corvées, qui payent le plus lourd tribut à la maladie. Les inégalités sociales (conditions de vie, de transport ou de travail) jouent là aussi un rôle important dans l’exposition différenciée au virus et dans les conséquences de l’infection. .

Enfin, contrairement à l’idée qui circule encore parfois, l’infection grave n’est pas ‘’réservée’’ aux personnes âgées et aux personnes fragilisées par des comorbidités. Ainsi en France depuis mars 2020, 23% des patients hospitalisés appartiennent à la tranche d’âge des 45/64 ans. Parmi elles 40% sont en soins critiques. Pami les décédé.es du SARS-Cov 2, 25 % ne présentaient pas de comorbidité et 27 % avaient moins de 75 ans.

L’accès aux vaccins pour tous et toutes demeure donc un facteur clé de la lutte contre la pandémie et de la protection de la santé des populations. L’extension rapide de la couverture vaccinale au plan mondial, et notamment dans les pays démunis de vaccins où le virus circule activement, est une priorité d’abord pour protéger les populations concernées, surexposées, et pour ralentir la circulation virale et contenir l’apparition de nouveaux variants.

Egoïsme sanitaire et apartheid vaccinal

Or, au plan mondial c’est à un véritable apartheid vaccinal, produit de l’égoïsme sanitaire des plus riches et des logiques hyper-capitalistes qui gouvernent la santé au plan mondial, et notamment les labos, auquel nous assistons depuis le début. Ainsi, 80% des doses vaccinales produites ont été livrées à des pays du G20, et 75% des injections ont été réalisées dans 10 pays seulement, parmi les plus riches évidemment. Pendant ce temps en Afrique, 3 à 4 % seulement de la population a eu accès à la vaccination et le dispositif Covax, fondé sur la charité, avec seulement 261 millions de doses, est un échec.

Tout cela pour continuer de satisfaire les appétits financiers et préserver les intérêts de quelques laboratoires privés qui ont, pour développer leur solution vaccinale, bénéficié largement de la recherche et de l’argent publics. Ces laboratoires profitent de leur position de monopole pour faire du chantage aux états pauvres en matière de tarifs, et font payer plus cher à ces dernier leurs doses vaccinales. Ainsi le Botswana s’est vu « proposer » l’approvisionnement en vaccin Pfizer au tarif de 29 euros la dose contre 19 aux pays de l’UE !

Un gigantesque scandale financier et fiscal

Pourtant les profits des grandes firmes détentrices des solutions vaccinales ARN contre le Covid sont déjà astronomiques. 1500 dollars par seconde ! 55 milliards de revenus pour Pfizer et Moderna en un an. Les grandes sociétés du big pharma, avec le soutien de l’Union Européenne, du Canada, de la Suisse et du Japon, s’accrochent à leurs bénéfices et défendent leur monopole vaccinal sous le prétexte commode de la propriété intellectuelle et des investissements qu’elles auraient consentis. La propriété des brevets est censée rémunérer ces investissements et prendre en compte leur risque financier. Mais nous savons que ces vaccins sont le fruit de l’exploitation des découvertes de la recherche financée à plus de 95% par des fonds publics depuis plusieurs dizaines d’années. 15 milliards de dollars par le dispositif Barda aux USA, 3 milliards d’euros en Europe. Les ‘’risques financiers’’ allégués sont une pure fiction: les labos ont imposé des tarifs prohibitifs, des clauses de secret commercial et obtenu des précommandes en grande partie financée à l’avance. En outre Moderna a négocié secrètement avec l’UE le versement du produit de ses ventes en Europe sur des comptes off-shore.
Au bout du compte la population paye deux fois : à travers les subventions accordées à la recherche publique et privée, puis avec les systèmes de protection sociale. Dans le projet de loi de financement de la Sécu il apparait que 2,5 milliards d’euros ont été consacrés à l’achat des doses vaccinales pour la population française. Ici il faut citer l’étude réalisée par Public Citizen, une organisation américaine de défense des consommateurs. Cette étude, réalisée à partir des logiciels qu’utilisent les labos de big pharma pour lancer une production et en réaliser leurs objectifs, indique qu’il est possible de fabriquer 8 milliards de doses pour un coût total se situant entre 9 et 20 milliards de dollars, soit un coût unitaire se situant entre 1 et 2.5 dollars la dose selon le vaccin pris en référence ( Pfizer, Moderna ou Curevac). Bien loin des tarifs actuellement pratiqués par les labos concernés…

Un lobbying du mensonge

Le lobbying des labos a été intense depuis 2 ans et nous avons vu les défenseurs des brevets nous dire que les transferts de technologie et de savoir-faire étaient trop complexes et trop long à mettre en œuvre pour répondre efficacement aux objectifs d’une répartition mondiale de la production vaccinale coïncidant au plus près avec les besoins de la population. Pourtant Moderna, start up installée dans le Delaware, sans réelle capacité de production, a passé un accord avec une usine pharmaceutique suisse ( Lonza) qui n’avait aucune expérience dans la production de vaccins. En deux mois ils sont parvenus à produire leurs premières doses.
Au niveau mondial il existe actuellement selon l’OMS une vingtaine de sites de production, répartis dans 12 pays différents, qui pourraient lancer une production qui permettrait de multiplier les sources et favoriserait l’accès à la vaccination à l’échelle mondiale. L’Afrique du Sud et l’ Inde, soutenues par plus de 50 pays, ont depuis plus d’un an demandé à l’ OMC la levée temporaire des brevets et la mise sous licence publique des vaccins contre le COVID 19. L’UE, la Suisse et le Royaume-Uni s’y sont opposés… La réunion de l’OMC à Genève, qui devait être consacrée à partir de mardi 30 novembre dernier à la recherche de solutions pour élargir la couverture vaccinale mondiale, a (opportunément ?) été reportée en raison des risques liés à la remontée de la pandémie. Mais quoiqu’il en soit les blocages subsistent. Pour les pays réticents à la levée, même temporaire, des brevets, il faut favoriser le recours aux licences volontaires, c’est-à-dire la vente de droit à produire, « plutôt que démanteler le système existant de la propriété intellectuelle, qui a fait ses preuves » (sic !), comme l’a affirmé lundi 29 novembre le Département de l’économie de la Confédération Helvétique (1)…

Une mobilisation qui monte

Pourtant, depuis plusieurs mois, partout dans le monde, mouvements, associations, syndicats et partis militent pour la levée des brevets et l’accès aux vaccins et aux moyens permettant de lutter contre le COVID. Des gouvernements se sont prononcés pour la levée des brevets (ou au moins leur suspension). Le parlement européen, à l’initiative du groupe ‘’ la gauche au parlement’’ s’est prononcé dans ce sens. Des initiatives ont été prises : tribunes dans la presse, appels, pétitions – dont l’initiative citoyenne européenne – création du collectif « stop brevets covid réquisition », rassemblements militants le 30 novembre devant l’OMC à Genève et dans de nombreux pays et villes.

Malheureusement en France le débat s’est largement polarisé ces derniers mois sur les questions liées à la mise en place du « passe sanitaire ». Au lieu de porter sur les enjeux d’un élargissement rapide de la campagne de vaccination au plan international. Ainsi, par une étrange inversion des hiérarchies, le débat sur l’obligation vaccinale en France, a pris le pas sur la question pourtant bien plus fondamentale pour la population mondiale du droit à la vaccination. Il faut dire que la politique du gouvernement Macron, avec son impréparation et ses mensonges, avec ses décisions solitaires et brutales et sa navigation à vue, a largement contribué à nourrir les doutes et le scepticisme vaccinal. Dans un tel contexte de méfiance envers les autorités politiques, sur fond d’autoritarisme présidentiel, en l’absence de tout contrôle parlementaire et citoyen, cela a ouvert un boulevard aux théories complotistes et favorisé l’hostilité à la vaccination alimentée par un courant antivax qui s’est montré très actif cet été et à la rentrée.

Face à la pandémie, faire des vaccins et des traitements contre le Covid un bien commun de l’humanité

Au plan international, pourtant, une réponse s’impose : les gouvernements, notamment au sein de l’Union Européenne, doivent lever les brevets plutôt que de nourrir l’illusion d’une protection face à de nouvelles vagues pandémiques par la fermeture des frontières. De même l’accès de toutes les populations du monde aux moyens de prophylaxie doit être garanti. Comme nous le défendons pour les vaccins, la mise au point attendue de traitements efficaces doit bénéficier à la population mondiale dans son ensemble et ne pas être l’occasion de nouveaux accaparements et super-profits par les grands labos privés. Atteindre cet objectif passe par une mobilisation citoyenne puissante, internationaliste et solidaire.

Face au virus et à ses nouveaux variants, continuer l’apartheid vaccinal, maintenir l’égoïsme sanitaire, au lieu de construire les solidarités internationales urgentes et nécessaires, laisser croire que la vaccination dans les pays solvables du Nord de la planète préservera efficacement la population, est une grossière erreur et un crime contre la santé de la majorité de la population mondiale.

1° Le Temps, 29 novembre dernier.