L’examen du projet de loi sur le « pouvoir d’achat » constitue un bel exemple de la manière dont le travail parlementaire, avec toutes ses exigences, peut s’articuler avec une décentralisation territoriale de l’action des forces politiques et citoyennes constitutives de la Nouvelle union populaire écologiste et sociale (NUPES).

Pour le gouvernement Macron-Borne, l’intermède des « compromis » a été de courte durée. Depuis l’interview du Président de la République, le 14 juillet, on a compris que la main tendue à des majorités « texte par texte » à l’Assemblée nationale n’est plus vraiment d’actualité, sauf avec… les droites. Notamment Les Républicains (LR).

Jusqu’ici, la Première ministre était relativement discrète, sur les retraites par exemple, dont elle n’a pas dit grand-chose dans son discours de politique générale. Mais Macron a dissipé le brouillard : il reprend clairement le leitmotiv de la droite (« il faut travailler plus longtemps ») sur l’âge de départ à 65 ans. Il maintient la conditionnalité du versement du RSA à des activités. Il veut encore réformer l’assurance-chômage après le coup de massue déjà subi par les chômeurs avec le changement des règles d’indemnisation qui diminuent de près de 20% en moyenne le montant des indemnités. Cette fois, l’idée nouvelle serait d’indemniser plus longtemps en cas de hausse du chômage et moins longtemps en cas de baisse des chiffres de la catégorie A de Pôle emploi (qui totalisent celles et ceux qui ne travaillent pas du tout, mais pas toutes celles et tous ceux inscrit·es à Pôle emploi). La catégorie A est la seule valable selon Macron, excédé, en plus, de constater que des emplois demeurent vacants, ce qui est dû aux mauvaises conditions de travail et à des salaires trop bas (exemple : la restauration). Il veut donc bâtir une majorité avec la droite LR, en reprenant quasiment son programme, ce qui était déjà largement entamé depuis 5 ans (avec les « débauchages » répétés de ministres). Ce projet d’alliance est-il déjà scellé officiellement ? Pas encore, mais aux yeux de Macron, le 14 juillet, tout indique une direction prise : cela passe où ça casse. Si la bureaucratie de LR résiste, c’est la dissolution qui se profilera.

Qui gagnerait à une dissolution ? Pour le moment, le pays électoral reste à droite, avec un RN ravi de montrer sa bonne volonté de gouverner un jour prochain, quitte à pactiser, lui aussi, avec le gouvernement sur les mesures dites de « pouvoir d’achat ». Visiblement, le RN attend son heure. Ainsi, pour le moment, LREM, LR, RN : tous sont d’accord pour ne surtout pas augmenter les salaires, mais pour distribuer des primes aux « consommateurs » et aux « couches moyennes ».

La « fragilité » de la NUPES

Face à ce bloc des droites, la motion de censure déposée par la NUPES s’imposait, ne serait-ce que pour exprimer politiquement un refus de gouverner le pays selon les coups de menton autoritaires de Macron, dont les phrases prononcées le 14 juillet annoncent la couleur. Y compris l’idée qu’il suffit de « traverser la rue » pour trouver du boulot, expression qu’il assume à 100%. De même qu’il assume, sans état d’âme, son pacte avec la multinationale Uber en 2015, dont le projet est de détruire tout Code du travail, comme Macron l’a entamé après 2017.

La bataille parlementaire est donc rondement menée. Dans une assemblée sans majorité absolue, elle n’est pas simple pour les député.es NUPES, deuxième groupe derrière la mouvance Macron, mais face à une droite à la fois diverse et, au total, numériquement dominante. Est-ce pour autant une bonne idée que de laisser parfois entendre une collusion entre le système Macron et le Rassemblement national ? Il est certain que Macron a surfé, à plusieurs reprises (depuis 5 ans), sur les thèmes préférés du RN, en espérant assécher son terreau idéologique (loi « séparatisme », ordre policier), alors que c’est le contraire qui s’est produit (dont les 89 députés RN). Il est certain aussi que le sens de la maxime célèbre : « Plutôt Hitler que le Front populaire » (prononcée par des patrons en 1936), aura l’occasion de se répéter contre la NUPES. Mais il n’en découle pas automatiquement que la NUPES doive se présenter comme « la seule opposition » au gouvernement Macron-Borne, alors que le RN déserterait ce rôle d’opposition. Il est peu probable que la NUPES gagne des électeurs ou électrices déboussolés du RN de cette façon, en engageant un concours de radicalité dans des expressions médiatisées.

Il est, bien sûr, nécessaire de déconstruire l’amalgame sur les « extrêmes » et le trait d’égalité très dangereux « gauche extrême/extrême-droite », dont la propagande macronienne est friande, suivie par le jeu parfois pervers des médias. Le RN tente d’y échapper à sa manière : ne pas jouer la crise. N’est-il pas nécessaire de construire avant tout la NUPES non pas comme la « seule opposition », mais d’abord comme une gauche d’opposition, comme la seule et véritable opposition de gauche et écologiste, face aux droites. Il y a du travail, car il faut reconstruire patiemment le sens et la portée de cette gauche écologiste pour les mois et années à venir.  Au Parlement, mais en même temps dans toutes les localités, sur le terrain.

Cette reconstruction dans la durée impliquera aussi la reconnaissance du pluralisme des forces de la NUPES. Là aussi, le jeu médiatique n’aide pas forcément l’émergence du collectif, dont certains éditorialistes n’ont que faire, car ce sont souvent les chefs les plus en vue qui les intéressent. Pour cet objectif du travail collectif, un débat devrait avoir lieu sur les règles d’annonce, sur la manière de faire des propositions, parfois intempestives. Sinon des tensions vont apparaitre. Comme le dit le député François Ruffin : « Il y a un bon esprit entre nous. Ça donne envie de revenir. » (Le Monde du 21 juillet 2022). C’est un trésor à préserver en effet, mais il est « fragile » explique Clémentine Autain dans son blog. Consultée par Mediapart, elle ajoute : « Il faut qu’on trouve un équilibre entre insolence et solennité ». Sandrine Rousseau (EELV) propose un « séminaire ». ENSEMBLE ! (Mouvement pour une alternative de gauche, écologiste et solidaire) défend cette idée de partage collectif du pluralisme politique de la NUPES et demande à s’y joindre.

Faire vivre une opposition de gauche, en haut et en bas

La NUPES construit une opposition de gauche ferme, qui redonne envie à celles et ceux qui suivent les débats de l’Assemblée, qui porte les couleurs et les valeurs de gauche et écologiste. Redonner du crédit à l’imaginaire de la gauche rassemblée a permis une remobilisation qui a doublé le nombre des député.es par rapport à 2017. Mais elle n’a pas encore suffi pour doubler les suffrages vers la gauche et l’écologie, et donc viser à être majoritaire en cas de crise accélérée. Cela nécessitera un travail en profondeur, et surtout un travail de terrain. L’abstentionnisme de gauche, toujours massif, se réduira peut-être si cette reconstruction associe une visibilité politique nationale à un tissu d’action populaire et citoyenne ancrée dans chaque commune, chaque quartier, et sur les lieux de travail. Ce qui a été fait à merveille, pour l’élection des député.es, pourrait devenir un axe de travail répété dans des « assemblées » locales ou des Parlements associant les forces vives des mouvements sociaux, à l’image du Parlement national de la NUPES.

L’occasion pouvait et peut encore être saisie au sujet du débat sur la loi dite « pouvoir d’achat ». Le contre-projet de loi de la NUPES est connu de celles et ceux qui cherchent sur les sites et les réseaux sociaux. Mais est-il connu du grand public ? La période d’été ne facilite certes pas les choses. Mais la dizaine de mesures mises en exergue, le jeudi 21 juillet, dans un communiqué de l’intergroupe de la NUPES (voir ci-dessous) peut être diffusée en tract national partout, voire pétitionnée depuis début juillet. La question de l’inflation, des salaires, du financement de la Sécurité sociale, de la transition énergétique peut faire l’objet de débats publics décentralisés. Il est important que le travail parlementaire ne reste pas… au Parlement, mais trouve une énergie renforcée avec celles et ceux qui ont voté NUPES, qui ont leur mot à dire. Et que la population observe que la NUPES révolutionne vraiment le travail parlementaire en le décentralisant et le démocratisant, selon la promesse d’une 6ᵉ République.

Assurément, le travail parlementaire est très chronophage, mais il doit être possible de le partager et le répartir avec l’appel à la mobilisation militante des partis constitutifs, et celle des citoyens demandeurs de participation. L’avenir espéré de la NUPES se jouera sur le terrain.

Jean-Claude Mamet