Le tour de France est un événement mondial important, puisqu’il vient en troisième position, juste derrière les Jeux olympiques et la Coupe du Monde de football. Certaines collectivités territoriales dépensent des sommes considérables pour accueillir ce spectacle. Le choix — manifestement électoraliste — des élu·es semble être une erreur politique qui en dit long sur leur complicité quant à la marchandisation de notre monde et sur leur incompréhension des enjeux climatiques.

Le tour de France 2022 vient de se terminer. Il est toujours surprenant de constater comment les personnes sont attachées à cette « fête du vélo », avec tous les qualificatifs que les médias accrochent autour de ce « spectacle sportif ». Effectivement, c’est un événement mondial important, puisqu’il vient en troisième position, juste derrière les Jeux olympiques et la Coupe du Monde de football. Certain·es dirigeant·es politiques de mon département (le Lot) ont décidé de se « payer » une arrivée d’étape à Cahors, puis une avant-dernière (contre-la-montre) entre Lacapelle-Marival et Rocamadour. On a glissé des étoiles dans les yeux de mes concitoyen·nes, ils et elles ont été beaucoup à y assister, à s’« émerveiller ». En tout cas, le choix — manifestement électoraliste — de ces élu·es me semble être une erreur politique qui en dit long sur leur complicité quant à la marchandisation de notre monde (être en première page des gazettes !) et leur incompréhension des enjeux climatiques.

Cet événement qualifié de « sportif » n’est en fait qu’une vaste opération commerciale

Ne comptez pas sur moi pour prétendre que les quelque 200 coureurs qui s’élancent le matin ne sont pas des sportifs ! Eux aussi, ils sont victimes de ce système néolibéral où tout a un prix. Ils sont devenus des « pros » en se jetant de leur plein gré dans l’arène. En effet, le Tour de France est une juteuse affaire commerciale que Le Figaro qualifie de « quintessence du sport business ». C’est tout dire !

La société « Amaury Sport Organisation » (ASO) ne s’occupe pas que de cette course, mais gère simultanément : « Liège-Bastogne-Liège », « Paris-Roubaix », « Paris-Nice », le « Rallye Dakar », le « Marathon de Paris », l’« Open de France », etc. soit, au total, 90 événements dans 30 pays. Cette société utilise les bons termes en se définissant comme en charge de la « médiatisation et la commercialisation de compétitions sportives ». En plus, elle appartient au « Groupe Amaury », aux côtés du journal l’Équipe (et de la chaîne de télévision du même nom), et cela rend les choses plus juteuses. Cette entreprise, d’un millier de salarié·es, propriété de la famille Amaury, pèse 505 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Publicité Skoda sur le Tour

Véhicule publicitaire de la marque Skoda – Crédit photo : Michel Weber

Pour ce qui est du Tour lui-même, c’est un budget de quelque 150 millions d’euros. On évoque 3 grands types de recettes :

  • L’achat des étapes par les communes. On parle de l’ordre de 100 000 € par ville-étape, constituant 20 % du total.

  • Les versements des sponsors (les fameux « partenaires »). Ils semblent en apporter 30 %. Il se dit que Skoda aurait participé à hauteur de 3,5 millions d’euros pour que ses véhicules équipent le Tour de France.

  • La vente des droits de diffusion en représenterait 50 %. Les 33 marques qui financent sont prêtes à payer cher pour voir afficher leur enseigne toute la journée, pendant presque un mois, sur les écrans et dans l’espace public.

Une grosse machine qui coûte un « pognon de dingue » aux collectivités

Pas loin de 200 coureurs cyclistes, 2 300 véhicules légers, des camions techniques (service d’ordre, secours, presse, etc.), des bus, des hélicoptères, des avions, sans oublier les 10-12 millions de spectateurs et spectatrices qui viennent en camping-car ou en voiture. En conséquence, 2 000 journalistes, consultant·es et photographes représentant 600 médias, dont 95 chaînes de télévision et, dès lors, 23 000 policier·ères et gendarmes sont mobilisé·es.

Quand on regarde de plus près, l’aide publique (bien souvent masquée) à cet événement commercial est majeure. Dans mon département, des centaines de bénévoles ont travaillé gratuitement pour son bon déroulement. Sans compter les services de propreté des collectivités qui ont « passé la serpillière » une fois le spectacle terminé.

Car le Tour de France, c’est aussi un énorme gaspillage et d’importants déchets générés. Il se dit qu’une vingtaine de millions de petits objets (les « goodies ») sont distribués ou plus justement « jetés » depuis la caravane. Il s’agit essentiellement de gadgets en plastique, de tee-shirt, de casquettes, le tout de mauvaise qualité, de faible valeur et fabriqué en Chine. Du coup, la gestion des déchets, assurée par les collectivités locales, est importante et n’est pas prise en charge par l’organisateur. On est loin du principe « pollueur-payeur ».

Un spectacle catastrophique sur le plan écologique

Cet été a connu une période de canicule majeure particulièrement insupportable. C’est un fait irréfutable et, lors des prochaines années, cela sera pire. Le dérèglement climatique impose un changement de cap urgent. C’est pour beaucoup d’entre nous une évidence, mais pas pour celles et ceux qui paient pour l’accueillir.

Le site Internet du Tour nous donne les chiffres sur cet aspect : « Nous avons procédé à un nouveau bilan [carbone] en 2021, sur une base méthodologique identique à celle de 2013. La comparaison qui en résulte montre que les émissions ont baissé de près de 40 % par rapport à 2013, s’établissant à 216 388 tonnes d’équivalent-CO2 ». Ainsi donc, les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont évaluées par les organisateur·trices et c’est une bonne chose. Rappelons que ce calcul concerne un événement d’une durée d’un mois environ. La valeur annoncée ne veut rien dire en soi, si l’on ne la confronte pas à quelque chose de plus évocateur. Sachant que les émissions moyennes d’un·e Français·e sont de 4,8 tonnes d’équivalent-CO2 par an, cela représente les émissions d’une ville de 45 000 habitant·es pendant une année complète ou l’équivalent de 540 000 habitant·es durant 1 mois ! C’est beaucoup non ?

Publicité sur le Tour de France

La publicité est partout : ici une marque de lunettes – Crédit photo : Michel Weber

Une compétition sportive à l’image écornée !

Le Tour de France a été régulièrement entaché par le dopage. Même après les scandales à répétitions dans les années 1990, des doutes subsistent. Il y a quelques jours encore, un participant a été déclassé. La presse se fait écho des vitesses de certains, inégalées lors des dernières étapes. Mais ces inquiétudes sont immédiatement balayées, dans un discours sur les progrès techniques des vélos qui interviennent de façon majeure ou une préparation de ces sportifs plus performante. De toute manière, le « spectacle » proposé aux cerveaux disponibles excuse tout. Ne sommes-nous pas dans un monde qui impose que nous nous surpassions en permanence ? Les coureurs n’en sont pas exemptés…

Alors, qu’en dire ?

La question est sur la table. Faut-il mettre fin à cet événement annuel qu’est le Tour de France à un moment où la macronie commence juste à s’interroger sur la nécessité d’une certaine « sobriété » (rassurez-vous, il n’a fait que ça !) ? En tout cas, nous sommes de plus en plus nombreux à nous la poser. Un groupe de militant·es appelé « Dernière Rénovation », a pour la première fois cette année, organisé par deux fois des opérations de désobéissance civique et a interrompu son déroulement.

  1. Il est indispensable de ne pas confondre cette opération commerciale avec le sport et le vélo. Si on veut promouvoir le cyclisme et les déplacements doux, on ne peut utiliser cette pratique machiste qu’est le Tour de France (même si cette année, un semblant de tour féminin a été remis en place).

  2. Notre planète n’a plus les moyens de se payer ce type de « machin ». Et c’est la même chose pour les JO de 2024 à Paris (ou ailleurs !) ou les coupes du Monde de Foot (au Qatar, dans des stades climatisés, en sachant qu’on évalue à plus de 6 500 le nombre de travailleurs migrants ayant perdu la vie sur les chantiers de construction).

  3. Il faut arrêter de penser que ce genre de spectacle aurait des retombées positives en termes d’emploi et de tourisme dans les territoires concernés. Si l’on veut que les Français·es viennent en vacances dans nos départements ruraux, l’augmentation des salaires (F. Ruffin me permettra certainement de le paraphraser !) est indispensable pour leur permettre d’une part de vivre décemment, mais aussi de prendre des congés, de trouver des hébergements à des prix raisonnables, etc. Faire une semaine de « BUZZ » avec cet événement commercial ne règle rien — sur le fond — quant à l’enjeu territorial…

 

Il est temps de se poser la question de la nécessité de faire perdurer ce genre de « spectacle médiatique », qui montre à la fois le contraire de ce qu’il faut faire et qui raconte le peu d’intérêt que l’on porte à la sauvegarde de notre planète puisqu’on continue comme si rien ne se passait.

Par contre, s’interroger, ne conduit pas à mettre fin aux compétitions cyclistes réellement sportives, sous réserve de leur donner une autre éthique.

 

Le 22/08/2022

René Durand