Sondage à l’appui, il a identifié le Front de gauche sur France Inter mardi 17 février comme un des trois foyers de l’antisémitisme en France. Dominique Reynié fait de la politique et ne sait pas (ne veut pas) lire ses chiffres.
L’étude sur laquelle il appuie sa démonstration repose sur deux enquêtes d’opinion.
La première a été conduite auprès de 575 personnes d’origine musulmane âgées de 16 ans et plus, déclarant être nées dans une famille musulmane. Administrée en face-à-face, les participants à cette enquête ont été « repérés au faciès » avec tous les biais de recrutement que cela suppose. Une façon de procéder qui porte en soi déjà atteinte à la fiabilité des résultats, mais ce n’est pas le seul écueil de cette enquête.
Nul ne connaît dans ce pays la composition socio-démographique de la population musulmane en France, car les statistiques « ethniques » sont interdites. Il est donc impossible de construire un échantillon représentatif sur quotas de cette population (selon le sexe, l’âge, la profession de la personne interrogée, la région et la catégorie d’agglomération). L’IFOP, en charge de la réalisation de l’étude, a tenté de contourner la difficulté en procédant empiriquement à partir des données observées sur la population d’origine musulmane dans ses enquêtes nationales. Une méthodologie qui fragilise les résultats, et donc les interprétations qui en découlent, sur un sujet qui aurait mérité d’être abordé avec plus de rigueur (cf. article de Nonna Mayer publié dans Le Monde du 05.12.2014 à propos de l’étude de la Fondapol « Il faut parler d’antisémitisme avec rigueur ») si l’entreprise politique n’avait pas primé sur la volonté d’observation de la réalité.
La seconde enquête, plus classique dans sa construction, a été réalisée on line, auprès d’un échantillon national représentatif de 1 005 personnes âgées de 16 ans et plus. C’est sur la base des réponses à ce sondage national que s’appuie Dominique Reynié pour affirmer que les « proches du Front de gauche » constituent l’un des trois foyers de l’antisémitisme en France, au motif qu’ils sont plus nombreux qu’en moyenne à adhérer aux préjugés antisémites.
Or, de nouveau l’analyse ne résiste pas à l’épreuve des chiffres. En effet, au sein d’un échantillon de 1 000 personnes, on dénombre en général entre 50 et 60 interviewés se déclarant proches du Front de gauche. Une taille réduite d’échantillon qui devrait inviter à davantage de prudence de la part d’un spécialiste des études d’opinion, notamment au regard des marges d’erreur supérieures à 10 points sur de tels effectifs.
Ainsi, dans le cas d’un échantillon de 50 personnes, si le pourcentage mesuré est 30 %, la marge d’erreur est égale à 13. Le vrai pourcentage est donc compris entre 17 % et 43 %. Pour être encore plus explicite, prenons un exemple tiré de l’enquête : 33 % des sympathisants du Front de gauche partagent l’idée selon laquelle « Les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance » contre 25 % des Français en moyenne. Un écart qui permet à Dominique Reynié d’affirmer que les opinions négatives à l’égard des Juifs sont plus répandues chez les proches du Front de gauche que dans l’ensemble de la société. A ceci près que le vrai pourcentage de réponses favorables, compte tenu des marges d’erreur, est compris entre 20 % et 46 %, annulant du même coup l’écart avec la moyenne nationale et les conclusions hâtives.
Qu’on ne se méprenne pas sur les intentions, l’objectif n’est pas ici de casser le thermomètre lorsque celui-ci donnerait à voir des réalités qui dérangent mais bien de s’assurer de sa fiabilité plutôt que de stigmatiser et de diviser inutilement.
Lire également l’article de Nonna Mayer (politiste et sociologue) qui au moment de la publication des résultats de l’étude émettait déjà des réserves sur la méthodologie.